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Marchés publics : tout est négociable (ou presque)

En principe, un marché public, une fois les documents de consultation déposés (DCE) et publiés pour les entreprises candidates, est intangible. Or depuis 2008 et les nouvelles règles européennes, certaines négociations sont possibles entre l’acheteur et les soumissionnaires de son choix. Mais alors, comment respecter l’égalité de traitement entre les candidats, et comment assurer la transparence de la procédure si des secrets industriels ne doivent par exemple pas être diffusés sous les yeux de concurrents ? Heureusement le droit des marchés publics prévoit tout, même les effets pervers.

Imaginons qu’un maître d’ouvrage lance un projet. Pour que l’offre colle le mieux possible aux besoins de cet acheteur, des modifications peuvent être apportées au projet initial, dans certaines limites évidemment, pour améliorer… le projet. L’acheteur, une fois l’offre publiée et la concurrence stimulée, peut changer plusieurs critères, dont le prix, le délai, la quantité, la qualité, et les garanties de bonne exécution du marché. Il reste maître de son offre et de son adéquation aux entreprises soumissionnaires. Ce faisant, il améliore la définition de son projet et performe sa réalisation.

La négociation entre l’acheteur et une ou plusieurs entreprises est autorisée pour non pas fausser la concurrence mais préciser le marché en question, en améliorer le périmètre et le résultat. Théoriquement, personne n’est perdant si les choses sont faites dans les règles. La négociation redéfinit les termes du marché, parfois en augmentant, parfois en baissant le prix. Cela veut dire que les documents de consultation initiaux n’étaient pas parfaits, ou plutôt pas assez réalistes. Ils sont censés le devenir après ces échanges.

Les documents de consultation sont donc modifiables en cours de procédure et une fois changés, tout repart non pas à zéro, mais de manière plus claire pour tous les acteurs du marché en question. Par exemple, après le premier appel d’offre sur la base de documents de consultation initiaux, l’acheteur peut négocier avec qui il veut, en général avec les entreprises les mieux notées. Ajoutons que si le pouvoir adjudicateur décide de négocier dès le départ, il doit s’y tenir et cela doit être clair pour toutes les parties : on ne peut pas négocier en douce avec l’un sans que les autres soient au courant. Tous les candidats doivent faire l’objet de la nouvelle information, sinon on tombe dans la préférence/discrimination, voire le délit d’initié(s). La transparence, un des principes phares des marchés publics, s’impose.

Comme le disent les textes officiels, la négociation lors d’un marché public doit permettre « d’obtenir un meilleur achat dans les règles de la transparence ».

Apparemment, cette autorisation ressemble à un deal gagnant-gagnant entre l’acheteur public et les entreprises. Meilleure est l’info, meilleur le résultat sera, particulièrement dans le rapport qualité/prix qui, on le sait, intéresse au premier chef les acheteurs (l’Etat ne roule pas sur l’or et la Cour des comptes veille). Mais la négo s’applique en réalité de manière moins idéale : elle part en fait des candidatures en cours des entreprises pour adapter la demande à l’offre, c’est-à-dire que la négo est un réajustement des conditions du marché ou des documents de consultation. En gros, la collectivité locale qui publie sa demande sur les supports prévus à cet effet peut grâce à cette souplesse (de la négo) adapter sa demande en fonction des candidatures que les entreprises lui soumettent et donc des particularités des dossiers remis. Des choses éclairantes pour l’acheteur peuvent surgir et modifier sa demande. Ça ressemble à de la cybernétique où l’effet corrige le facteur. Les informaticiens connaissent ce genre de « boucle » rétroactive.

La procédure est, reconnaissons-le, moins respectueuse des textes rigides qui enserrent les marchés publics mais beaucoup plus efficace pour fluidifier la relation entre l’Etat et les entreprises privées. On lâche un peu sur la règle pour adapter l’offre à la demande et la demande à l’offre, du même coup ! La négociation dans les marchés publics change le cahier des charges après consultation. Le pouvoir adjudicateur, s’il ne peut pas toucher aux conditions du marché définies au moment du lancement ou de la publication de la procédure, peut jouer sur un ou plusieurs éléments qui ne sont pas marginaux ou accessoires (prix, délai, quantité, qualité). La nature globale du marché ne change pas, ses éléments constitutifs le peuvent.

On résume : la négo porte sur des éléments qui sont clairs pour tout le monde mais ne touche pas à la nature du projet, les changements doivent être portés à la connaissance de tous les candidats pour que l’égalité de traitement soit respectée, tout en ne révélant pas les secrets industriels ou commerciaux des uns et des autres, évidemment. Les échanges entre le maître d’ouvrage et les entreprises doivent être tracés (traçabilité) et égaux. L’acheteur public, quand il change un des termes du contrat, doit mettre tout le monde au courant, mais il peut se servir du contenu des dossiers reçus lors de la procédure en cours pour ré-estimer sa demande. Ce ping-pong informationnel et commercial, s’il est fait dans les formes, améliore grandement le marché public.

Dernière chose : si le pouvoir adjudicateur (la commission qui choisit en dernier lieu le candidat disposant du meilleur dossier) change un ou plusieurs éléments du DCE, il « doit pouvoir en justifier l’intérêt ». Sinon les entreprises soumissionnaires risquent de danser d’un pied sur l’autre. Ainsi, les candidats peuvent accepter le changement et remettre un nouveau dossier. Si la possibilité de négocier doit obligatoirement être stipulée au début de la procédure, elle demeure non obligatoire : le pouvoir adjudicateur peut en user à sa guise. Les candidats sont alors prévenus : dossier évolutif à prévoir. Des exemples de jurisprudence sont consultables ici.

Au fait, dans quels cas l’acheteur public choisit-il une procédure (concurrentielle) avec négociation ?

Il faut que le marché soit suffisamment spécial ou complexe d’un point de vue technique ou financier pour que ses éléments constitutifs – que l’on retrouve dans les DCE – soient vraiment difficiles à préciser au départ. Seul l’échange avec les entreprises candidates permet de préciser ces données. En général, ce type de procédure s’applique pour des marchés dont la valeur égale ou dépasse les seuils européens (voir le Livre blanc « Découvrir les appels d’offres » pages 12 & 13).