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Marchés publics : vers un prix de moins en moins prépondérant ?

Le prix, c’est ce que tout le monde, acheteur ou entreprise, regarde en premier. Nous sommes dans une civilisation du prix, capitalisme oblige. Même si chacun sait qu’un prix bas, et encore plus s’il est anormalement bas, cache souvent un vice (voir le Livre Blanc sur l’Attribution qui évoque « une main-d’œuvre sous-payée » ou « des matériaux de mauvaise qualité »).

Quand l’acheteur dans un marché public choisit entre plusieurs candidatures, on pense généralement que le prix est le critère numéro un. En période de vaches étatiques maigres, cela semble être une évidence. Cependant, c’est le rapport qualité/prix qui s’impose dans le choix du maître d’ouvrage. Mais pour que ce rapport soit quantifiable, il faut que le mémoire technique proposé par les soumissionnaires soit clair. Or ce n’est pas toujours le cas. Le prix seul ne suffit donc pas, il doit s’adosser à des critères de qualité qu’on trouve dans le mémoire technique. L’ignorer c’est passer à côté de candidatures crédibles. Cette webconférence peut vous aider à en savoir plus.

Comme l’explique un chapitre du blog Libel, le mémoire technique détaille le projet de l’entreprise soumissionnaire en fonction du marché proposé par l’acheteur. Ce mémoire reprend les aspects techniques de l’offre (RC, CCTP ou BPU) et les moyens – humains ou techniques – mobilisés pour le projet.

Globalement, les critères d’attribution du marché sont répartis de manière complémentaire : si le prix représente X% de la note globale (qui déterminera le gagnant), alors le mémoire technique comptera pour (100-X)%. La qualité peut donc primer sur le prix. Sur l’exemple du blog Libel, on voit qu’un bon mémoire technique peut compenser un prix supérieur aux autres offres.

Plus ce mémoire est adapté à l’offre et à l’acheteur, plus il a de chances de taper dans l’œil du maître d’ouvrage. Un prix supérieur ne sera alors pas forcément un handicap insurmontable.

 

Il n’y a pas que le prix dans la vie

On le voit, on est passé du prix comme critère numéro un à celui de « l’offre économiquement la plus avantageuse », évolution qui figure dans l’article 52 de l’Ordonnance. Cependant, il n’y a pas que le rapport qualité/prix. D’autres critères interviennent dans le choix final de l’acheteur. Ces critères dépendent de la spécificité du marché. S’il y a d’autres critères (que le prix et la qualité technique) dans le calcul du mieux-disant, l’acheteur peut se retrouver avec trois pourcentages : par exemple 35% prix, 35% qualité technique et 30% respect environnemental.

En fonction du contenu des dossiers reçus, une note globale sera attribuée à chaque dossier selon le degré d’adéquation à ces trois critères. C’est ce qu’on appelle la pondération des critères (qui figurent normalement dans le règlement de consultation des entreprises, DCE, ou documents de la consultation). A chaque critère correspond un poids qui entre en jeu dans la décision finale. Et c’est toujours l’acheteur qui décide et des critères et de leur pondération, donc de leur hiérarchie. Le soumissionnaire peut « jouer » dans une fourchette acceptable autour de ces valeurs.

Dans ce cas, le critère environnemental peut ainsi peser presque autant que le prix ou la qualité technique, c’est en tout cas ce que réclament les écologistes ou les adeptes du développement durable. Autre exemple : la proximité. Un marché peut être réservé à des entreprises locales sans que cela n’affecte une des trois lois de l’attribution des marchés publics, à savoir l’égalité (de traitement entre les candidats), la transparence (les informations dans le dossier de consultation) et la libre concurrence (pas de concurrence faussée).

 

Le libre choix des critères

Il va de soi qu’un petit marché public de construction dans une commune de l’Isère ne va pas se discuter à l’échelle européenne, même avec un mieux-disant potentiel venu du fin fond de la Bulgarie (et encore, le bilan carbone risque d’être lourd et peser négativement dans le critère de prix). Et pourtant, cela devrait être le cas au vu de l’évolution des lois européennes qui dominent petit à petit les lois nationales. Mais l’acheteur a le droit de délimiter ses critères… tant qu’il ne transige pas avec le Code des marchés publics : liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement entre les candidats et transparence des procédures (article 1er du CMP du 1er août 2006).

Pour ne pas mettre toute la charge sur le dos des entreprises, il faut aussi que l’acheteur public détermine de la manière la plus nette la qualité qu’il exige. Le flou de con côté risquant alors de se retrouver de l’autre côté, et de manière surmultipliée. Plus les besoins de l’acheteur seront précis, moins les dossiers seront pénalisables. L’amélioration doit venir des deux côtés, comme dans toute bonne négociation. D’où l’importance des échanges entre acheteur public et opérateurs privés avant de finaliser le dossier de consultation. Ces échanges sont désormais autorisés, sous certaines conditions, on l’a vu précédemment.

Pour rassurer les lecteurs, dans l’écrasante majorité des cas, les notes globales sont attribuées de manière impartiale par le pouvoir adjudicateur [[Nous étudierons en profondeur dans un article ultérieur la procédure d’attribution.]]. Une quelconque préférence ne doit pas jouer ou alors elle peut être dénoncée, et le tribunal administratif se charge du dossier.

 

Quels sont maintenant les marchés où le prix reste déterminant ?

Avant d’étudier le cas des marchés où le prix est encore prépondérant, n’oublions pas le critère du coût global, celui d’un prix évolutif qui s’étale sur toute la durée de l’ouvrage et qui inclut les coûts cachés, par exemple les charges d’entretien ou d’exploitation. Inversement, des bâtiments à Haute Qualité Environnementale (HQE), plus chers que les autres au départ, verront leur coût d’exploitation décroître avec le temps. Axer son choix, pour l’acheteur ou le soumissionnaire, sur un prix relativement bas (mais pas anormalement bas) peut donc être trompeur sur la durée.

« Il convient tout d’abord de rappeler que le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse peut se faire, selon l’article 53-II du code des marchés publics, soit en se fondant sur plusieurs critères de choix définis en fonction de l’objet du marché et pondérés ou à défaut hiérarchisés par l’acheteur, soit en s’appuyant sur un seul critère qui doit alors être celui du prix. Cette dernière possibilité conduit l’acheteur à retenir l’offre la moins-disante.
Le recours au critère unique du prix concerne les cas où, compte tenu de l’objet du marché, les offres des soumissionnaires peuvent être appréciées de manière objective sur la seule base du prix proposé. C’est notamment le cas pour les marchés dont l’objet porte sur l’achat de produits simples et standardisés pour lesquels les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) sont limitées. Le choix du critère unique du prix, comme celui d’éventuels critères additionnels, doit être justifié par l’objet du marché. La personne responsable du marché doit donc être en mesure d’expliquer les raisons de son choix en la matière. » (Voir Question/Réponse au Sénat)

C’est un peu long mais c’est clair.
On le voit, plus les marchés se complexifient, moins le prix devient le seul critère ou le critère prépondérant, même s’il reste évidemment important. Avec le développement des technologies, avec l’encouragement à l’innovation, avec l’accumulation des exigences environnementales (les économies d’énergie, les énergies renouvelables, le développement durable…), les nouveaux critères d’attribution d’un marché prennent une place de plus en plus grande dans les documents de consultation.

 

Une exception intéressante : les variantes des candidats

C’est le droit, dans certaines limites, pour les entreprises candidates, de modifier des éléments du dossier de consultation. Si ces modifications ne bouleversent pas les prestations demandées et si, par exemple, une innovation est ainsi apportée, ou une solution alternative. En gros le soumissionnaire trouve un moyen de « mieux faire » tout en respectant les besoins fondamentaux de l’acheteur. Il se peut même que la variante fasse gagner du temps ou de l’argent au maître d’ouvrage, ce qui peut être déterminant pour le choix du gagnant.

Cependant, que les entrepreneurs ne crient pas victoire trop vite, une variante ne peut être acceptée que si sa possibilité figure dans le dossier de consultation, c’est-à-dire si l’acheteur les a autorisées. S’il y a pensé, évidemment. Ces variantes sont automatiquement autorisées dans le cas spécial des MAPA (Marchés passés selon une procédure adaptée). Dernière chose, si l’acheteur ne parle pas de variante, le fait d’en proposer une ne peut pas nuire au dossier : il ne peut pas être éliminé pour cela. Les entreprises voient d’un bon œil la généralisation de cette procédure mais elle se heurte à des résistances du côté de l’autorité publique, notamment en termes de droit. Si cette souplesse peut apparaître positive dans la pratique, sur le papier elle n’est pas simple à notifier.

La logique du profit

L’obsession du prix découle de la logique de profit : si le commanditaire public peut obtenir son ouvrage pour 600 000 euros au lieu de 750 000, il va le faire, à qualités de rendu égales, bien entendu. Les entreprises doivent aussi faire leurs marges, et toute négociation porte sur cette marge cachée. Mais la logique de prix bas, si l’on parle construction, et construction de logements publics, a des effets pervers à long terme. Les architectes le savent et se battent contre ce modèle dominant, cette économie économique qui finit par se retourner contre elle-même.

Il y a un an, le 15 février 2018, un collectif de 200 architectes signait une tribune dans Le Monde selon laquelle « Le logement ne peut être assujetti aux seules logiques du profit ». Ce texte frappé au coin du bon sens tombait en pleine polémique sur la loi « Evolution du logement et aménagement numérique » qui, pour résumer, consiste à construire « vite et pas cher ». On en a parlé dans le gros sujet sur la loi ELAN.

Le constat de ces professionnels est tranchant :

La situation s’aggrave d’année en année. Les inégalités spatiales et territoriales se creusent, dégradant le lien social et mettant à mal le vivre ensemble. Dans les métropoles, les classes moyennes quittent les centres-villes où se loger devient trop cher. L’augmentation des prix dans les quartiers attractifs repousse les habitants vers des quartiers éloignés où se concentrent les populations les plus modestes. Le pouvoir d’achat ne permet plus d’accéder à un logement adapté aux besoins de chacun. Selon la Fondation Abbé-Pierre, près de 15 millions de Français sont fragilisés, mal logés ou privés de domicile. L’accès au logement est devenu un vrai problème de société.
La qualité des logements neufs se détériore. Si la qualité des équipements techniques des logements a pu progresser, leur qualité spatiale et d’usage s’est dégradée. Sur les dix dernières années, un trois pièces a perdu de 15 % à 20 % de sa surface, soit l’équivalent d’une pièce.
Les charges d’entretien explosent du fait d’une construction au rabais. Trop souvent, cinq à dix ans après leur construction, des malfaçons ou des vices cachés apparaissent dans les bâtiments. Cela entraîne des travaux d’entretien prématurés, non prévus dans les plans de financement. Cette situation précarise les acquéreurs déjà engagés dans le remboursement de prêts de plus en plus long (trente ans).
Prescrire des matériaux bas de gamme, ne pas confier la surveillance des travaux à l’architecte du projet, recourir à une main-d’œuvre pas ou peu qualifiée, multiplie les risques de malfaçons, affaiblit la qualité et la pérennité des ouvrages. Le coût social et économique de ces programmes mal étudiés est exorbitant.

Conclusion

Un prix trop bas se paye toujours très cher (mais les hommes politiques du jour ne sont pas ceux de demain…). Pour ce collectif, seul le recours à un architecte dans chaque projet peut servir de garde-fou à des calculs faussement gagnants.

Que l’Etat soit le garant du maintien de la qualité des logements par des procédures d’achat public transparentes et équitables en maintenant les concours d’architecture et les fondamentaux de la loi MOP [relative à la maîtrise d’ouvrage public], qui met en place la relation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Ces dispositions encouragent la qualité architecturale, pour toutes les opérations publiques ou privées, qui mobilisent de l’argent ou du foncier publics.

Aujourd’hui, la loi ELAN est passée, les acheteurs publics peuvent être tentés de faire construire encore moins cher. A eux d’éviter les erreurs du passé en faisant jouer d’autres critères que le prix.