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Quel recours en cas de rejet de la candidature ?

Y a-t-il un risque pour une entreprise candidate qui s’estime lésée de saisir la justice contre l’acheteur public ?

C’est la question que posent et que se sont posée les entreprises qui ont fait un recours au tribunal administratif après le rejet de leur candidature, qui ont gagné mais qui ont subi une conséquence inattendue : l’acheteur a annulé le marché, en a repassé un autre – parfois le même sous une autre forme – et a rejeté la candidature de l’entreprise qui avait été en justice. Logique d’un point de vue commercial, mais relativement injuste.

La question devient : jusqu’où peut-on et doit-on se défendre quand sa candidature est rejetée ?

Le point sur la notification de marché

D’abord, quand une offre est rejetée, il s’agit de comprendre pourquoi, où est la faille, le manquement, la faute. Si faute il y a. Il ne faut pas tomber dans la paranoïa non plus : les procédures sont considérées comme globalement équitables – du moins il faut l’espérer – donc il y a toujours une raison objective à une « défaite », une défaite commerciale s’entend. Mais si vraiment le choix du pouvoir adjudicateur n’est pas clair et qu’objectivement le dossier rejeté tenait vraiment la route, alors on est en droit de se poser des questions, et poser ces questions à l’acheteur, sinon au juge. L’idée étant toujours de trouver un terrain d’entente avant d’aller ferrailler en justice, ce qui représente une perte d’énergie, de temps et d’argent pour les deux parties (sans vouloir ici paupériser la profession d’avocat). Les tribunaux proposent toujours cette rencontre pour une transaction, ce qui permet de désengorger les tribunaux.

Une fois que le pouvoir adjudicateur a pris sa décision en son âme et conscience, un dossier de candidature est donc accepté et les autres refusés. Les candidats rejetés reçoivent évidemment un avis qui les informe de leur infortune et là, deux cas se présentent, selon qu’on est dans un marché adapté ou un marché formalisé. Qu’est-ce que c’est ?

Procédure adaptée :

« Une procédure adaptée est une procédure par laquelle l’acheteur définit librement les modalités de passation du marché, dans le respect des principes de la commande publique et des dispositions du présent livre, à l’exception de celles relatives à des obligations inhérentes à un achat selon une procédure formalisée. »

L’acheteur n’est pas tenu de justifier son refus dans le cas d’une procédure adaptée. C’est au candidat de faire cette demande. Une action qui présente deux avantages : on ne reste pas dans l’ignorance et on comprend ce qui a péché dans le dossier. Souvent, c’est le mémoire technique qui n’a pas été à la hauteur… On en profite pour souligner l’importance de cette partie du dossier, qui est parfois négligée. L’acheteur a 15 jours pour répondre au demandeur.

La procédure formalisée :

« Lorsque la valeur estimée hors taxe du besoin est égale ou supérieure aux seuils européens mentionnés dans un avis qui figure en annexe au présent code, l’acheteur passe son marché selon l’une des procédures formalisées : l’appel d’offres, la procédure avec négociation et le dialogue compétitif. »

L’acheteur non seulement informe tous les candidats perdants, mais il doit en outre expliquer les raisons de leur éviction (raisons négatives) et délivrer le nom du gagnant. Tout en expliquant pourquoi c’est ce dernier qui a emporté le morceau (raison positives) et surtout quand le contrat sera signé. Cette phase, décrite dans le livre blanc de Libel sur l’attribution, s’appelle la « notification du marché ». Elle transforme le vainqueur de l’appel d’offres en « titulaire ». L’acheteur publie alors un avis d’attribution dans un des journaux officiels sous 30 jours. De surcroît, l’entreprise qui n’est pas satisfaite a le droit de demander à l’acheteur un supplément d’information sur la supériorité de l’offre retenue. En général, on en reste là.

 

Le(s) recours

Ça, c’est quand tout se passe bien. Dans la réalité, on ne peut éviter les suspicions et les frictions car il s’agit d’argent, donc de survie économique. Le candidat rejeté a, on l’a vu, droit à une information plus ou moins étendue. S’il estime au bout du compte que les explications de l’acheteur ne sont pas suffisantes ou pas convaincantes, il peut passer au stade suivant, le recours. Pour cela, le candidat a intérêt à bien motiver sa remise en cause de l’attribution du contrat.

Le référé précontractuel

C’est là qu’on comprend que la date de signature du marché est importante : car c’est avant ce moment fatidique que le candidat insatisfait peut saisir le juge du référé précontractuel. Un terme barbare mais qui dit bien ce qu’il veut dire : il s’agit du juge qui s’occupe des cas litigieux avant signature du contrat. Les cas recouverts sont le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Si le manquement de mise en concurrence est clair, qu’est-ce que le manquement aux obligations de publicité ?

« Le juge peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des contrats administratifs des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public. »

Pour comprendre les attributions de ce juge spécial, nous avons fouillé dans les textes régissant les marchés publics établis par la DAJ (Direction des affaires juridiques) :

« L’irrégularité doit être susceptible d’avoir lésé ou risque de léser l’entreprise, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente »

Ce juge précontractuel (dit aussi « juge d’urgence ») ne dit pas si l’attribution au gagnant est justifiée ou pas, ou que le rejet des perdants est justifié ou pas, ce n’est pas son rayon : lui doit vérifier si une offre n’a pas été mal lue ou altérée par le pouvoir adjudicateur et ce, de manière « manifeste ». C’est-à-dire évidente. Pas facile, mais jouable. Dans le cas où le manquement est manifeste, alors le juge précontractuel peut suspendre le contrat et son exécution, différer la signature ou tout bonnement l’annuler mais dans un délai de 20 jours, après lequel la procédure devra être close.

Voilà, ça c’était pour le référé précontractuel. On rappelle à toute fin utile que le référé est une procédure de justice d’urgence qui est destinée à régler un litige. Cette procédure a un avantage, elle est rapide, mais elle a un inconvénient : elle est provisoire. Disons que la justice agit vite mais repousse à plus tard la résolution définitive du litige. Dans le cas du tribunal administratif, entre le dépôt de la requête et le jugement, une procédure court de 7 mois à 2 ans… Plus le dossier sera simple à traiter, plus vite il sera jugé. Puisqu’on est dans le droit, rappelons que la transaction peut avoir lieu à tout moment, même pendant le procès.

Petite incise : tant que le marché n’est pas signé, le juge précontractuel peut donc être saisi, par une entreprise évincée on l’a vu, mais aussi par une entreprise qui n’a pas pu déposer d’offre !

Le référé contractuel

Passons au référé contractuel, ou post-contractuel, qui échoit au juge dit « du contrat ». Le marché a été signé, mais là encore, l’entreprise qui s’estime lésée peut attaquer si elle estime que l’acheteur n’a pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Dernière possibilité, mais plus marginale, le recours gracieux (qui ne tente rien n’a rien) : il faut écrire à l’organisme public qui a décidé du rejet en lui demandant de « reconsidérer la signature du marché ». Si aucune réponse ne vient dans les deux mois, c’est mort. Toutes les possibilités en détail figurent sur le site du service public.

Pour les amoureux du droit ou les entreprises qui ont été confrontées à ce genre de problème, une fiche technique est prévue sur toutes les procédures possibles et imaginables, le droit français étant à la fois complexe et subtil.

Disons-le tout net : derrière les expressions juridiques consacrées comme « manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence », il faut parfois lire « favoritisme » ou « délit d’initié ». Pour une raison X ou Y qui ne peut être dite, et pour cause, un candidat est préféré à d’autres qui auraient pu autant convenir sinon plus. L’acheteur dans ce cas n’a pas donné suffisamment d’éléments pour que le principe de concurrence – il est fondamental dans le Code de la commande publique – soit respecté. Le candidat qui s’estime lésé et qui déclenche la saisine doit posséder un axe d’attaque fort pour que le juge d’urgence ou du contrat abatte le glaive de la Justice sur le contrat ou les travaux. De plus, le candidat floué n’est pas sûr de gagner le nouvel appel d’offres – s’il y en a un – après une telle procédure !

Recours par l’exemple

Pour ceux qui veulent aller plus loin : des cas pratiques et de jurisprudence figurent sur le site spécialisé de cet avocat. Un exemple intéressant de recours validé qui a conduit à une annulation du marché avec le cas d’un candidat sortant favorisé :

La détention d’informations nécessaires à l’élaboration des offres par le seul candidat sortant entraîne l’annulation d la procédure
(TA Paris, ord., 1er avril 2019, Sté Ebiosanté, n°1904340)
La procédure de passation du marché lancé par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) pour le renouvellement du programme de dépistage du cancer colorectal (fournitures de kits de dépistage) vient d’être annulée dans son intégralité par le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Paris.
Était en cause le fait que seul l’attributaire sortant disposait d’informations permettant d’élaborer son offre de prix dans le cadre de ce marché.
En l’espèce, l’objet du marché était de fournir des kits de dépistage aux médecins et à certaines structures en charge de la gestion du dépistage. Or, le prix que les candidats devaient proposer dans leur réponse était un prix global par kit, incluant le conditionnement, le transport et la livraison. Les informations relatives à la volumétrie des kits et à la répartition géographique des commandes avaient donc évidemment un impact important sur le prix proposé.
Or, dans le DCE, la CNAM n’avait pas transmis de chiffres précis sur cette répartition périodique ou géographique des commandes. Elle s’était en outre contentée, sur demande d’un candidat, de transmettre des tableaux incomplets et erronés.
Dans ces conditions le titulaire sortant, qui connaissait, lui, la répartition géographique et la volumétrie précise de livraison de ces kits était donc avantagé pour élaborer son prix.
Le TA considère donc que « la société eBioSanté est fondée à soutenir que le caractère incomplet des informations portées à la connaissance des candidats est susceptible de constituer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ».
Le juge considère ensuite que, compte tenu du faible écart sur le critère prix (1,36/100), ce manquement est bien susceptible de léser la société requérante.
Les pouvoirs adjudicateurs doivent donc être particulièrement vigilants s’agissant des informations à transmettre dans le DCE pour rétablir l’égalité de traitement entre le sortant et les potentiels nouveaux entrants.