Réglementation

Toutes les offres sont-elles régularisables ?

Quand un acheteur lance une procédure d’attribution de marché public, il écarte logiquement les offres inadaptées à sa demande, c’est-à-dire aux documents de consultation (qui sont théoriquement clairs). Cependant, depuis peu, l’élimination des offres non conformes n’est plus une fatalité. Voyons les cas dans lesquels une régularisation est possible.

 

Au fond, il s’agit de déterminer la différence entre une bonne et une mauvaise offre, ce qui n’est pas toujours aussi évident, plutôt entre une offre corrigible et une offre incorrigible. Le Code de la commande publique a changé, on le sait, et ce bien avant le grand chambardement de 2018. En 2016 déjà, un décret permettait d’assouplir la législation en matière d’offres. Il s’agissait de corriger et de ne pas punir les irrégularités qui pouvaient surgir dans les dossiers des entreprises soumis aux acheteurs.

Avant cet assouplissement, il y avait deux sortes d’offres, et rien au milieu : celles qui étaient recevables et les autres, dites irrégulières, inappropriées ou inacceptables, trois niveaux qui motivaient un refus.

 

Les trois cas éliminatoires… ou presque

Une offre est dite irrégulière quand elle « ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».
Une offre est dite inacceptable quand elle propose un prix qui dépasse les crédits alloués au marché public en question.
Une offre est dite inappropriée quand elle est sans rapport avec les besoins de l’acheteur.

Il suffisait d’un pas de travers pour que le dossier entier soit rejeté, au grand dam des soumissionnaires qui ne maîtrisaient pas tous les codes juridiques ou techniques. Une fois le dossier rejeté, c’était fini, terminé, l’entreprise pouvait plier bagages, elle ne participait pas à la sélection. Le pouvoir adjudicateur ne plaisantait pas. Même si l’entreprise candidate avait un bon dossier de fond, la moindre erreur ou faute réduisait tout à néant.

Ce même pouvoir adjudicateur ne plaisante pas plus aujourd’hui mais il « comprend », il comprend que les erreurs ne sont pas forcément volontaires et surtout, qu’elles sont corrigibles, ce qui laisse une chance à ceux qui ne sont pas des pros de l’appel d’offres, on pense aux petites et moyennes entreprises.

Il y a trois sortes de procédures dans les appels d’offres, et pour deux d’entre elles un rattrapage était possible : dans le cas des procédures adaptées, une négociation était acceptée entre les deux parties pour un dossier jugé boiteux (mais si après négo le dossier était toujours boiteux, alors c’était l’élimination définitive) ; dernier cas, celui de la procédure négociée, qui voyait les offres inappropriées éliminées d’emblée, mais pas les offres inacceptables ou irrégulières. Dans ces deux sous-cas, la négociation était possible.

On voit donc que le pouvoir politico-juridique a peu a peu admis le principe de la régularisation dans presque tous les cas, sauf si vraiment le dossier est piteux ou ne correspond pas du tout aux documents de consultation et à la substance de l’offre. Naturellement, cette possibilité de négociation ne doit pas entrer en contradiction avec les principes fondateurs des marchés publics : liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures.

 

Résumé intermédiaire

Avant il y avait les offres recevables et les autres. Aujourd’hui il y a les offres négociables et les autres, ce qui augmente les chances de voir son dossier accepté, ou plutôt accepté dans le jeu de la concurrence. Il est évident qu’un dossier bien constitué à la base a de meilleures chances d’être validé. Mais rien n’est perdu : l’Etat repêche les dossiers incomplets ou mal configurés.

Aujourd’hui donc, un pan des offres « inacceptables » est passé du côté des offres « irrégulières », donc régularisables. Dans le cas de procédures avec négociation, ces dernières sont repêchables, mais à une seule condition :

« Les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables à l’issue de la négociation ou du dialogue, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. »

Sauf qu’une offre anormalement basse peut être considérée comme… irrégulière (ou mal configurée) ! Une OAB est celle dont le prix est sous-évalué, ce qui peut porter préjudice à la bonne exécution du marché, dit la loi. L’entreprise qui la propose doit pouvoir la justifier. Après justification, si l’acheteur considère qu’elle est toujours anormalement basse, alors l’offre dans son entièreté est rejetée.

Inversement (cas de l’offre inacceptable), si elle excède le prix proposé par l’acheteur de 25%, alors c’est à ce dernier de démontrer qu’il est dans l’incapacité de le financer. Ce qui voudrait dire que le prix qu’il ne peut théoriquement pas dépasser ne correspond pas aux prestations du marché… Mais on a vu dans le sujet sur le prix prépondérant qu’une offre financièrement supérieure pouvait être, avec les calculs de pondération, la mieux-disante !

Ensuite les choses se compliquent. Pour les cas les plus fouillés, voir les exceptions sur le site legibase.fr.

Dès lors que pour une entreprise candidate la régularisation est acceptée, alors toutes les autres candidates dont l’offre se prête à la régularisation – c’est-à-dire dont les offres sont jugées irrégulières – doivent pouvoir en profiter (égalité de traitement oblige). Un délai est accordé qui varie selon les candidates.

 

Cas pratiques d’offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées

Le candidat n’a pas fourni tous les renseignements ou toutes les pièces qui étaient demandés dans les documents de consultation : offre incomplète qui entre dans le cadre de l’offre irrégulière. Autre cas de figure : le soumissionnaire ne propose pas les matériaux listés. Ajoutons que le fait de ne pas bien maîtriser la législation peut aussi faire basculer un dossier dans l’irrégularité. Cela peut toucher à la sous-traitance ou aux exigences en matière environnementale, par exemple.

On l’a vu, une offre est déclarée inacceptable quand le soumissionnaire propose dans son dossier un prix trop élevé. Mais la différence entre le prix demandé et le prix proposé peut donner matière à discussion. Ce n’est donc pas éliminatoire (sauf différence délirante).

Dernier point, l’offre inappropriée : c’est le pire cas de figure. Il s’agit d’une grosse dérive par rapport au besoin du maître d’ouvrage. Il peut alors difficilement s’agir d’une erreur involontaire car en général, ces offres inappropriées portent sur des points assez énormes. L’acheteur demande de la pierre de taille, le soumissionnaire propose du béton allégé… Est-ce fichu pour autant ? Même pas : si la différence entre la demande et l’offre n’est pas gravissime ou de nature à porter préjudice au marché en question. Tout est affaire de mesure, donc.

On note qu’en cas de péché véniel, du genre faute de frappe ou erreur de calcul, l’acheteur peut corriger lui-même la candidature. Mais il ne faut pas que ça prenne des proportions dangereuses. On pense à la confusion pas si rare entre HT et TTC…

« On répond et on verra bien, si c’est pas bon, il nous le diront, on rectifiera ! »

Il y a, on le voit, toujours des cas particuliers et des exceptions, donc ce n’est jamais « mort », même si un candidat ne peut pas se reposer sur l’idée que toute offre, même vite ou mal ficelée, semble presque toujours régularisable. C’est une façon de se reposer sur ses lauriers et de faire faire le travail à l’acheteur, qui n’a peut-être pas envie de jouer les correcteurs de copies. Mais la loi l’y oblige, en quelque sorte.

 

Moralité

L’Etat fait des efforts d’assouplissement dans ses règles, mais doit éviter que cela ne détériore la qualité des dossiers que les acheteurs publics reçoivent. Il s’agit donc d’un assouplissement qui reste bien sous contrôle et qu’on ne doit pas prendre pour une faiblesse.