Marchés de travaux publics et Clause Molière, où en est-on ?
Depuis quelques mois le baromètre de la conjoncture dans les travaux publics est reparti à la hausse. Les carnets de commandes se remplissent à nouveau à un rythme soutenu.
La question du besoin d’effectifs supplémentaires se fait pressante pour les entreprises du secteur.
L’embauche de travailleurs étrangers augmente donc mécaniquement… et les questions sur l’application de la clause Molière aussi !
Une clause Molière pour quoi faire ?
Partant du constat que sur un chantier tout le monde ne parle pas forcément le français, le but affiché est d’assurer une communication fluide entre les participants afin d’améliorer la sécurité et de garantir le bon déroulement des travaux.
Mais c’est surtout un moyen détourné de déclarer « persona non grata » la main d’oeuvre étrangère et les toujours plus nombreux travailleurs détachés employés dans les travaux publics.
La clause Molière est donc en quelque sorte l’acte 2 de l’épisode du fameux plombier polonais des années 2000… un geste de résistance contre le libéralisme européen et surtout contre le dumping social généré par le travail détaché. Née de la dérégulation du droit du travail, cette pratique autorise en effet des contrats de travail ne se conformant pas aux lois du pays hôte mais à celles du pays d’origine du travailleur.
Dans les faits, imposer une clause Molière ne s’arrête pas à ce rôle de rempart passif. Elle entend aussi favoriser les entreprises régionales, alors que cette pratique est normalement interdite par le code des Marchés Publics (et pourtant plus ou moins encouragée dans le cadre de la RSE !).
Où en est-on vraiment ?
Initialement proposée en 2016 lors d’un appel d’offres de marchés de travaux publics à Angoulême, cette clause sulfureuse a depuis essaimé sur tout le territoire. Les régions Ile de France, Auvergne Rhône-Alpes, Pays de la Loire sous l’impulsion de leurs Présidents respectifs ont, elles aussi, décidé d’inclure des obligations visant à imposer l’usage du français sur les chantiers.
Polémique par nature, chaque clause Molière déposée a donc été décriée et portée par ses détracteurs à l’appréciation de la justice quant à sa légalité et son application.
Dans le cadre de la procédure engagée à Nantes pour la construction d’un Lycée à Laval, le Conseil d’Etat à refusé l’annulation de la passation. Celle-ci avait été en effet demandée en cassation par le Ministre de l’intérieur après un premier refus essuyé par le préfet de région auprès du tribunal administratif. C’est donc une première victoire pour cette clause Molière.
Mais en Auvergne Rhône-Alpes où une clause Molière a été instaurée par le Président de Région (et nouveau président du parti LR), celle-ci a été invalidée en fin d’année 2017 par le tribunal administratif de Lyon.
Motifs invoqués ? Elle aurait été décrétée « non pour assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés, mais pour exclure les travailleurs détachés des marchés publics régionaux et favoriser les entreprises régionales« .
Autant dire que chaque délibération prête à interprétation et que les premières conclusions ne sont pas concluantes !
Il y a Molière… et Jean-Baptiste Poquelin !
Ce qu’il ressort de cette situation, c’est avant tout un flou juridique entretenu par les arrière-pensées derrière chaque clause Molière, rendant leur interprétation plurielle.
La ligne dure prônée par Laurent Wauquiez en Rhône-Alpes a sans doute occulté l’alternative plus souple pourtant proposée dans le texte : à défaut d’imposer le français, la clause demandait en effet au moins la présence sur le chantier d’un interprète.
Or, c’est pourtant bien cette seule disposition qui a été retenue dans le cas du jugement de Nantes pour acter la validité de la clause.
En effet, celle-ci demandait a minima la présence en début de chantier d’un interprète pour traduire la réglementation sociale en vigueur ainsi que les consignes de sécurité…
Certes, c’est une contrainte de plus pour l’entreprise lauréate. Mais on est bien loin de l’obligation d’embaucher des personnels maîtrisant parfaitement la langue nationale ou de proposer un interprète à temps complet, solution qui serait jugée à coup sûr excessive en termes de coût.
Il reste donc dans l’affaire Auvergne Rhône-Alpes des arguments à faire valoir par la Région en appel pour casser sa première annulation…
Rien n’est donc acquis. Gageons que les mois à venir nous proposerons de nouveaux rebondissements. Attendons donc les prochains lever de rideau avant de pouvoir définir ce qu’est vraiment une clause Molière !