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Le sourçage ou la curiosité récompensée

Comme chacun sait, le marché public est basé sur un appel d’offres (AO) équitable. L’acheteur (public) publie son AO sur les supports prévus à cet effet, et les entreprises intéressées montent leur dossier de candidature à partir des éléments qui constituent le «dossier de consultation». Les trois critères qui fondent tout marché public – sur un marché privé l’acheteur peut choisir l’entreprise qui le chante (c’est aussi le cas, exceptionnellement, pour un marché public de moins de 25k€)  – sont la transparence, l’égalité et la libre concurrence.

Concrètement, toutes les entreprises doivent avoir accès au marché en question, il ne peut y avoir aucun favoritisme, et n’importe qui peut candidater (en même temps un simple artisan ne se lancera pas dans la course au marché de la piscine olympique des JO de la Ville de Paris 2024). Zéro discrimination entre les soumissionnaires, c’est le principe intangible du marché public. Ensuite, c’est le mieux-disant qui gagne au regard des critères qui sont définis dans le dossier de consultation. Jusque-là, tout est clair.

L’appel d’offres en question est publié, en fonction de l’importance du marché, dans des journaux officiels ou spécialisés, sur le Net ou via des logiciels comme Libel qui dispatchent les annonces en fonction des capacités ou des besoins des entreprises clientes. Cependant, il y a tellement d’appels d’offres (26 000 en cours le 9 août 2018 pour un total annuel de 70 milliards d’euros via… 10 000 sources !) qu’une entreprise, a fortiori petite, ne peut pas toujours tomber sur l’AO qui l’intéresse.

Du coup, on lui donne le droit d’«anticiper le marché public», de pratiquer le «sourçage» (anciennement sourcing). Cette anticipation a lieu, comme son nom l’indique, avant de remettre sa candidature, histoire de préciser quelques points un peu confus…. Cela permet de faire remonter de l’info intéressante. Malgré la clause d’égalité entre les candidats, cette méthode n’est pas illégale, elle a même été mise noir sur blanc dans le décret du 25 mars 2016. Mais on sent que la frontière entre sourçage et favoritisme, voire conflit d’intérêts, n’est pas très claire. Le décret, en fait, a été décidé parce que la pratique était courante. La loi a rattrapé le réel, histoire de le cadrer un peu…

Précisons que l’entreprise future candidate peut conseiller en direct l’acheteur public avant même que la consultation ne soit lancée. De toute façon, personne ne peut empêcher les entités publiques et privées de communiquer et les soumissionnaires potentielles de flairer le marché ou un marché…

Acheteur et opérateurs à la bourse (et la course) aux infos

Disons qu’il s’agit d’une curiosité «ciblée» : l’entreprise virtuellement candidate pose des questions destinées à préciser l’appel d’offres. Inversement, un acheteur public peut à son tour poser des questions aux entreprises qui sont susceptibles de l’intéresser pour son offre à venir… Par exemple, une mairie qui veut bâtir une salle de sport lance une étude de marché, et pour cela demande conseil à une ou des entreprises, qui pourront alors présenter un dossier avantageux…

Mais restons positifs : ces contacts entre acheteur et opérateurs économiques permettent de mieux cerner l’offre des deux côtés. Le sourçage est alors un réglage intelligent entre l’offre et la demande, l’acheteur et les entreprises, et le document de consultation n’en sera que plus précis.

De plus, il y a moyen de savoir qu’une collectivité territoriale, par exemple, va investir dans un secteur donné. La publication de cette info (l’investissement voté) étant accessible, il est possible d’en profiter avant même que l’appel d’offres ne soit officialisé. Il suffit pour cela de lire, pour le cas qui nous intéresse, le bulletin municipal : « L’intercommunale va construire une piscine publique pour un montant de 12M€ »… Bingo : l’entreprise de BTP qui fait dans la pistoche est au courant, si toutefois elle surveille « son » marché.

Il existe donc plusieurs méthodes pour « anticiper » les marchés, que ce soit du côté public ou privé. Il est vivement conseillé à une entreprise candidate dans un secteur donné de remonter les informations relatives à son domaine de compétence. Ainsi, elle sera mieux armée pour monter un dossier avec l’avantage concurrentiel – qui ne viole pas les lois de l’égalité des chances – d’en savoir un peu plus que ses futures concurrentes. Ou d’avoir un temps d’avance.

Et en ce qui concerne un marché renouvelable, la pêche aux infos en est simplifiée puisque le renouvellement est stipulé lors du premier appel d’offres. Là il n’y a même pas à se fouler pour l’entreprise soumissionnaire : elle rebalance son dossier.

Moralité : en économie, la curiosité est tout sauf un vilain défaut (mais évitez toutefois l’espionnage économique).